La réaction platonicienne
Face à la philosophie résolument antithéologique de cette période, Platon inventera son « démiurge » dans le Timée. Cette réaction sera une manière de faire tout à la fois la synthèse de la cosmologie grecque mais aussi et surtout de renverser l’inspiration fondamentale.
C’est donc une cosmologie philosophique qui se substitue à la cosmologie scientifique qui se dessinait jusque-là. Ce bouleversement aura une longue destinée avant que l’explication causale des phénomènes reprenne le dessus sur l’explication par la finalité. Car pour Platon, qu’il s’agisse d’astronomie ou d’autres domaines, une autorité religieuse règle l’ensemble des choses. Cette source transcendante est à la base même de l’idée qu’il se fait du fonctionnement des sociétés.
On prête à Platon cette phrase cinglante : « Le sacrilège des anciens philosophes était de dire que les astres ne sont faits que de pierre, de terre et de quantité d’autres corps dépourvus d’âmes. Il n’est donc pas étonnant que ces philosophes aient eu des ennuis, et ce n’est que justice. »
Platon,
comme on le voit dans le « Timée » enseigne que la Nature est conduite
par un agent conscient et extérieur qui imprime au cosmos tout entier
une organisation spécifique.
Cela entraîne une conséquence majeure pour la connaissance : les études astronomiques, considérées comme totalement inutiles, mettront des siècles à se relever de cette situation.
"Il l’a amenée du désordre à l’ordre, car il avait estimé que l’ordre vaut infiniment mieux que le désordre."
TIMÉE. – Disons donc pour quelle cause celui qui a formé le Devenir et le Monde les a formés. Il était bon, et en ce qui est bon, nulle envie ne naît jamais à nul sujet.
Exempt d’envie, il a voulu que toutes choses naquissent le plus possible semblables à lui, Que tel soit le principe essentiel du Devenir et du Monde, on aura pleinement raison d’accepter cette opinion de la bouche d’hommes sages. Le Dieu a voulu que toutes choses fussent bonnes : il a exclu, autant qu’il était en son pouvoir, toute imperfection, et ainsi, toute cette masse visible, il l’a prise, dépourvue de tout repos, changeant sans mesure et sans ordre et il l’a amenée du désordre à l’ordre, car il avait estimé que l’ordre vaut infiniment mieux que le désordre. Et jamais ne fut permis, jamais n’est permis au meilleur de rien faire, sinon le plus beau.
Ayant donc réfléchi, il s’est aperçu que, de choses visibles par leur nature, ne pourrait jamais sortir un Tout dépourvu d’intelligence qui fût plus beau qu’un Tout intelligent. Et, en outre, que l’intellect ne peut naître en nulle chose, si on le sépare de l’Âme. En vertu de ces réflexions, c’est après avoir mis l’Intellect dans l’Ame et l’Ame dans le Corps, qu’il a façonné le Monde, afin d’en faire une oeuvre, qui fût, par nature, la plus belle et la meilleure.
Ainsi donc, aux termes du raisonnement vraisemblable, il faut dire que ce Monde qui est véritablement un être vivant, pourvu d’une Ame et d’un Intellect, est né tel par l’action de la Providence du Dieu.
Contre Platon peu de voix s’élèvent. Seule l’œuvre de Démocrite est parvenue jusqu’à nous comme une alternative très originale. En
représentant la totalité des choses à la façon d’un tas de pièces d’or
séparées, selon l’expression de son professeur Leucippe, Démocrite vit
dans la discontinuité des choses la preuve que l’Univers était
illimité. Selon
lui, « les mondes sont formés quand des atomes tombent dans le vide et
se trouvent accrochés les uns aux autres; et de leur mouvement, au fur
et à mesure que leur taille augmente, se constituent les étoiles. Le
soleil tourne selon un cercle plus grand que celui de la lune. La terre
se meut uniformément, en tourbillonnant autour du centre; elle a la
forme d'un tambour. (...) Le Tout est sans limites, comme déjà dit; et
une partie est vide et l'autre pleine, de ce qu'on appelle éléments. De
ces éléments naissent des mondes en nombre illimité, au sein desquels
ils se dissolvent. » Si
l’arrangement des choses du monde – une autre traduction du mot kosmos
– se conçoit en termes de vide et de petits mondes
microscopiques, insécables et inaltérables nommés atomes, il est alors
possible d’admettre que le monde bouge, qu’il change et se transforme,
que ce modèle se reproduise constamment et donc qu’il n’y ait pas qu’un
seul monde. Si,
un siècle plus tard, un philosophe de l’île de Samos, Epicure reprit la
physique de Démocrite en la nuançant et alors que son discipline, le
poète latin Lucrèce, lui redonna un nouvel éclat, elle n’occupa pas la
scène. Face à Démocrite, il y avait Platon mais également un autre
obstacle de taille : les religions. A suivre : Et si l'on parlait de La Bible... La Création voulue